Ça y est, on est en plein dedans. Demain ou après demain l’extrême droite arrive au pouvoir. Ce qui se passe est la conséquence d’un processus de long terme qui a vu l’effondrement des espérances collectives d’une transformation du monde vers l’émancipation, la solidarité, l’égalité, la justice. Or, si l’on n’évolue pas, l’on ne fait pas que stagner ou faire du sur-place, l’on régresse ; grande loi à la fois collective et individuelle.
Et si l’extrême droite parvient au pouvoir, comme c’est probable, il ne s’agit pas d’une « crise de la démocratie », mais d’une nouvelle preuve de son absence, excusez-moi de me répéter, mais il faut enfoncer le clou.
Or, plutôt que de chercher les véritables raisons de ce désastre annoncé (et il s’agit bien d’un désastre, même si "avant" il n’y avait pas de démocratie, il y a des degrés en enfer...), partout l’on nous dit que les crises économiques ou l’immigration sont le terreau de l’extrême droite, mais en réalité c’est le vieux fond de haine, de ressentiment, de jalousie, de peur et de repli sur le confort purement matériel qui ressort et qui s’exprime à la moindre occasion, ce que des observateurs autorisés appellent la « peur du déclassement ». Car l’on préfère s’en prendre aux « assistés », aux étrangers, à « ceux qui ne font rien et qui profitent du système », plutôt qu’à ceux qui mettent à sac le monde pour leur propre pouvoir et leur propre profit et qui pour cela exploitent les autres, les réduisent à des pions qu’ils manœuvrent, plutôt qu’à ceux qui monopolisent et accumulent les ressources, les capitaux, les biens, et qui sont responsables de la misère et de l’extrême pauvreté de millions de gens, partout sur la planète. Ce sont eux les véritables parasites et qui sont infiniment plus dangereux que les quelques personnes qui profitent des allocations, s’il en existe.
Au fond, il n’y a jamais eu de véritable évolution « morale », spirituelle, existentielle ; seulement une progression des sciences et des techniques ayant certes abouti à un confort matériel et à une diminution du temps de travail, du moins en « occident », mais au détriment des pays colonisés, esclavagisés, dont les richesses et les ressources ont été pillées et bien souvent les populations massacrées. Et même en France l’exploitation du travail n’a évidemment jamais cessé. Jamais n’ont été remise en cause les structures de la domination et du patriarcat, les inégalités monstrueuses, les atteintes innombrables aux libertés, les discriminations diverses et variées et la haine de l’autre, de l’étranger, de tout ce qui s’écarte du conformisme général. Oh certes, il y a des exceptions, diverses tentatives, mais qui n’aboutissent quasiment jamais à un changement durable et coordonné (l’on se méfie même de tout qui prétendrait à l’unité et appellerait à un engagement, et qui sait si précisément là n’est pas aussi l’une des raisons de la perte d’espérance). Il y a aussi des créations remarquables, notamment artistiques, mais qui sont trop souvent perçues par leur public comme avant tout une distraction, le fameux divertissement pascalien.
Le plus ridicule et en même temps le plus tragique est que lorsque l’extrême droite dit au « peuple » qu’il a du pouvoir, celui de mettre à bas les élites, celles qu’il jalouse, ce « peuple » est ravi, il exulte. Et ils sont loin d’avoir tort, ceux qui vont voter pour l’extrême droite, de dire que les élections ne changent jamais rien pour eux, du moins lorsque le choix n’est ou n’était qu’entre la gauche et la droite classiques. Mais évidemment, Le Pen (et tous les autres) les trompe en leur disant : grâce à moi, tu vas jouer un véritable rôle ; moi je vais agir en ton nom, et pour toi ; et je vais mettre tout par terre pour te remettre au centre du jeu. Ce n’est évidemment jamais comme ça que ça se passe.
Mais après tout, peut-être que peu lui importe au « peuple » d’être floué à nouveau, ce qui compte c’est que les autres souffrent, c’est de trouver un exutoire à sa frustration. Car ceux qui vont le plus souffrir dans un premier temps ce sont les métèques, les étrangers, mais aussi les marginaux, les homosexuels et autres LGBT+, les féministes, les gauchistes, les zadistes, les artistes, bref toutes celles et ceux qui refusent, ne serait-ce que partiellement, le programme tout tracé du travail famille patrie qu’on leur propose, toujours remis au goût du jour, jamais remis en cause.
Mais que le « peuple » ne s’y trompe pas, ce sera bientôt son tour.