« Les vrais croyants sont ceux qui veulent abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, et, par suite, les haines d’homme à homme, les haines aussi de race à race, de nation à nation, toutes les haines, et créer vraiment l’humanité qui n’est pas encore. Mais créer l’humanité, c’est créer la raison, la douceur, l’amour, et qui sait si Dieu n’est pas au fond de ces choses ? » Jean Jaurès, dans La question religieuse et le socialisme.
Texte magnifique, et tant pis si l’on nous accuse de vouloir « récupérer » Jean Jaurès. Il est vrai que c’est à la mode aujourd’hui de vouloir lui faire dire tout et son contraire. Le texte ci-dessus est ainsi utilisé par certains laïcards, en coupant toutefois la citation après « toutes haines »… (voir présentation du livre Pour la laïque & Autres textes, sur http://www.editionsbdl.com/fr/books/pour-la-laque-autres-textes/108/ ), ou encore sur le blog du PCF de Morlaix (http://le-chiffon-rouge-pcf-morlaix.over-blog.com/article-le-socialisme-de-jean-jaures-premiere-partie-123616517.html) qui coupe la citation après « de nation à nation », pour éviter la référence à ce Dieu malsonnant.
Certes, le Dieu de Jean Jaurès est sans doute un peu spécial, mais peu importe. Ce qui nous touche c’est précisément cette alliance (la « nouvelle alliance » ?) de la Transcendance avec la transformation du monde, avec la réalisation de l’humanité et de la Terre. C’est toute la différence avec le Christianisme (si l’on en croit par exemple Hans Küng et son Jésus qui vient d’être réédité), puisque le Royaume de Dieu ne peut et même ne doit en aucun cas être réalisé sur Terre. Il suppose au contraire l’achèvement du monde, par une décision qui ne vient que de Dieu seul (quitte à ce qu’il y ait une nouvelle Terre sur laquelle l’on ne nous dit pas grand chose !). Bref, l’humanité ne serait pas possible sur Terre. Il est vrai que l’Histoire semble donner raison à ce pessimisme. Mais il y a de la mauvaise foi chez Hans Küng lorsqu’il réfute la nécessité et la possibilité d’une transformation révolutionnaire du monde parce qu’une telle transformation serait nécessairement violente.
Reste donc une synthèse à tenter, qui repose sur la compréhension de cette chose si simple (mais apparemment si difficile à comprendre pour quantité de gens) : aucun changement de structure ne peut intervenir sans transformation individuelle préalable. Et Jaurès avait raison sur le principe : Dieu est bien au fond d’une telle transformation qui seule peut permettre de construire le monde, ici et maintenant. Seul l’Amour peut nous permettre de vivre l’amour, la communion, le partage des biens et du travail… dans la durée et pas seulement dans un petit groupe qui se tiendrait chaud à l’écart du monde.
C’est aussi l’occasion de se souvenir et de s’inspirer éventuellement de Tolstoï, Berdiaev, Martin Buber et, pourquoi pas, de Thomas Müntzer. Ils ont pu se tromper sur tel ou tel point, plus ou moins important), mais ils ont compris l’essentiel.
Occasion aussi de citer Dom Helder Camara, évêque brésilien proche de la théologie de la libération : "Mais je vous assure qu’il y a dans toutes les religions, et pas seulement dans le christianisme, des personnes, des groupes, des minorités qui travaillent pour que la religion, au lieu d’être aliénée et aliénante, soit une force de libération : libération du péché et des conséquences du péché, de l’égoïsme et des conséquences de l’égoïsme." Oui, sans doute il y a encore des minorités qui en sont là. Mais pourquoi s’accrocher à ce qui divise ?
Si l’on se refuse à conjuguer la transformation du monde avec la Transcendance qui seule peut l’inspirer et la permettre, alors Dieu n’est plus Dieu, et le monde restera l’enfer qu’il est, par la faute des hommes.
RSS 2.0